Les prévisions : ça sert à quoi ?

Les prévisions : ça sert à quoi ?
Par : Ramzy Yelda, analyste principal des marchés, Producteurs de grains du Québec
Le marché des grains est particulièrement volatil. En plus des traditionnels facteurs d’offre et de demande (production, utilisation, exportations, importations, etc.), il est affecté par plusieurs facteurs très difficiles à prévoir (les décisions politiques, les taux de change, etc.) ou carrément imprévisibles au-delà d’une certaine période (la météo).
Pour essayer d’y voir plus clair et planifier leurs actions, certains intervenants qui ont les ressources nécessaires élaborent leurs propres prévisions; les autres peuvent consulter les diverses prévisions disponibles. Dans ce domaine, l’USDA fait un travail remarquable, non seulement pour les États-Unis, mais pour le monde entier, et ce pour les principaux grains. Ils ont des ressources et une expertise considérables dans ce domaine, et une très grande crédibilité. À toute fin pratique, les prévisions de l’USDA mènent le marché mondial des grains. Tous les professionnels se basent sur l’USDA en faisant leurs propres analyses et prévisions.
Cette année, l’USDA a surpris le marché par son resserrement de l’offre et de la demande de maïs aux États-Unis au cours des derniers mois. Dans son rapport de septembre, l’agence augmentait encore le rendement du maïs et la production était estimée à un niveau quasi record, alors que les exportations demeuraient presque inchangées par rapport à l’année précédente. Cela se reflétait par des stocks abondants de plus de 2 milliards de boisseaux (Gbu) en 2025. Quatre mois plus tard, le portrait a changé : le rendement a nettement baissé, la production a perdu plus de 300 millions de boisseaux (Mbu), les exportations ont gagné 150 Mbu et les inventaires ont chuté à un niveau assez serré de 1,5 Gbu. L’USDA avait aussi sous-estimé « l’effet Trump » avec de nombreux acheteurs accélérant ou devançant leurs achats de maïs en raison du risque de tarifs douaniers.
Au Québec, la hausse boursière du maïs a été amplifiée par l’augmentation des bases en dollar canadien due à la dégringolade du huard. Alors que le dollar américain était boosté par « l’effet Trump », notre monnaie était pénalisée par « l’effet Justin » – la démission de M. Trudeau et le vide politique à Ottawa. Résultat : la remontée des prix locaux du maïs a été impressionnante. Beaucoup de maïs pour la récolte a été vendu à des prix variant entre 210 $ et 230 $ la tonne FAB, alors que les prix ont récemment franchi la barre des 280 $ la tonne FAB, dans certains cas même atteignant et dépassant 290 $ pour livraison au cours des prochains mois. Si je ne me trompe, personne (y compris le soussigné) n’avait prévu que le prix du maïs atteindrait 290 $ au début de 2025.
Les producteurs qui ont vendu beaucoup de maïs tôt dans l’année s’en sortent perdants. Comme me l’a dit l’un d’eux, frustré à juste titre : « Je comprends, personne n’a une boule de cristal. Mais, dans ce cas, ça sert à quoi les prévisions ? » Les prévisions sont une capture d’écran à un moment donné des facteurs haussiers, neutres ou baissiers qui influencent le marché des grains. Même si elles sont imparfaites, les prévisions rendent un grand service aux producteurs. Elles servent à identifier les facteurs clés à l’œuvre et aident les producteurs à se faire leur propre opinion du marché. Au Québec, trois analystes – Jean Philippe Boucher, Simon Brière et moi-même – font régulièrement des prévisions. Lisez-les, comparez-les : même si personne n’a la fameuse boule de cristal, ces prévisions vous seront utiles, surtout en ces temps très incertains !